Un rapport remettant en cause l’intérêt du projet de gazoduc entre Barcelone et Carcassonne divulgué.
Le rapport, réalisé par le bureau d’études finlandais Pöyry à la demande de la commission européenne, s’est mystérieusement retrouvé sur la place publique la semaine dernière. Via les sites internet de l’agence de presse Reuters et du mensuel espagnol La Marea. Les opposants au projet de gazoduc transfrontalier STEP, qui pourrait relier Barcelone à Carcassonne en traversant les Pyrénées-Orientales et l’Aude dès 2022, se sont vite emparé du document. Il faut dire qu’ils attendaient la publication de cette étude, terminée en novembre 2017 et réputée défavorable au projet, avec impatience. « Plusieurs eurodéputés avaient demandé à obtenir ce rapport financé par des fonds publics, mais la commission européenne avait refusé à cause des enjeux commerciaux », rappelle Éric Le Balier, du collectif contre le gazoduc transfrontalier STEP/Midcat.
« Aucun avantage pour les usagers »
Finalement, cela valait peut- être la peine d’attendre. Les conclusions de l’étude coûts-avantages valent leur pesant de cacahuètes : « L’analyse engagée et les cinq scenarii examinés nous amènent à conclure que le projet peut avoir un intérêt économique, mais seulement en présence de la combinaison de trois facteurs spécifiques : de faibles niveaux de demande en gaz en Europe, la restriction de l’accès au gaz algérien et une augmentation du prix du gaz naturel liquéfié. » Pour le président de l’association En commun, Philippe Assens, comme pour l’ensemble des détracteurs du gazoduc, l’étude est « clairement » défavorable au projet. « Ce gazoduc n’a aucun avantage pour le consommateur », analyse Philippe Assens. « Il a plutôt des inconvénients, notamment liés à l’impact environnemental du chantier. De plus, si jamais cet investissement se fait et que ce n’est pas rentable, ce sont les usagers des zones traversées qui devront supporter son coût. » Éric Le Balier évoque également une possible augmentation des tarifs du gaz côté français. Et renchérit : « L’étude démontre aussi que ce gazoduc n’a aucun intérêt pour la sécurisation de l’approvisionnement en gaz de la France et de l’Espagne (un des principaux arguments des entreprises qui portent le projet, NDLR). »
Un tuyau qui ne sécurise rien ?
Afin de déterminer l’impact de STEP en matière de sécurisation des approvisionnements, le rapport Pöyry simule plusieurs situations problématiques. Comme l’arrêt complet des exportations de gaz russe, algérien ou qatari vers l’Europe pendant six mois. Et là aussi, le verdict est sans appel. « L’inclusion de STEP dans les situations de tension testées n’a pas changé l’impact de ces si- tuations », indiquent les experts.
Confortés par ces conclusions, les opposants au gazoduc continuent de réclamer l’abandon du projet. « Il faut sortir des énergies fossiles », martèle Éric Le Balier. « On demande qu’il n’y ait plus de soutien financier public pour ce genre de projet. L’argent public investi dans le gaz, c’est de l’argent en moins pour les énergies renouvelables. » Le responsable de la partie française du projet pour l’entreprise Teréga (ex- TIGF), Michel Boche, ne partage bien évidemment pas le point de vue du collectif. Selon lui, les résultats mis en avant ne sont pas significatifs. Teréga compte déposer la demande d’autorisation administrative du projet STEP dès juin 2019.
Arnaud Andreu (L’Indépendant, le 26 avril 2018)
L’entreprise paloise Teréga (ex-TIGF) porte la partie française de STEP, dont le coût est estimé à 290 millions d’euros. Le directeur des projets d’infrastructures de la société, Michel Boche fait le point sur la situation.
L’Indépendant. Quel regard portez-vous sur l’étude qui vient d’être dévoilée ?
Michel Boche. On ne peut pas prendre le bout d’une étude et s’en servir pour dire que le projet n’a aucun intérêt. Il faut avoir une approche globale. Il n’y a pas qu’un rapport lié au projet STEP. Celui de Pöyry ne représente qu’une partie des éléments d’analyse. Il regarde les bénéfices du projet à l’échelle européenne en matière de fluidité et de sécurité d’approvisionnement. Mais il y a une autre étude, réalisée par le cabinet d’études Frontier, qui porte sur les mêmes points et qui évoque un certain nombre de bénéfices. Il y a également une troisième étude qui concerne les bénéfices régionaux. Selon elle, STEP va permettre de sécuriser et de renforcer les canalisations existantes dans les Pyrénées-Orientales. L’ensemble de ces documents sont partagés avec la commission européenne et intégrés dans les demandes d’investissements déposées début avril devant la Commission de régulation de l’énergie, qui va juger de la répartition des bénéfices. Les régulateurs des États concernés (France, Espagne et Portugal) vont ensuite discuter entre eux afin d’évaluer les bénéfices pour leurs pays respectifs et décider qui va payer quoi.
L’Indépendant. Quels sont selon vous les bénéfices de STEP en matière de sécurisation des approvisionnements en gaz ?
Michel Boche. Aujourd’hui, il y a une faiblesse d’approvisionnement de l’Europe en gaz naturel liquéfié (GNL). Le GNL vient assez peu en Europe. Il va plutôt en Asie. L’Espagne a beaucoup de terminaux de GNL, mais vu que tout part en Asie, elle a besoin de gaz venant du nord.
L’Indépendant. Est-il possible que la construction du gazoduc engendre une hausse des prix du gaz en France ?
Michel Boche. Tant que le gaz circule uniquement du nord au sud, comme cela est prévu, il n’y a aucune raison de dire que ce projet va mécaniquement faire augmenter les tarifs du gaz.
L’Indépendant, le 26 avril 2018
Le projet STEP bénéficie du statut de « projet européen d’intérêt commun ». Cependant, il ne fait pas non plus l’unanimité au sein du parlement de l’Union.
Le 17 avril dernier, onze eurodéputés, parmi lesquels José Bové, Eva Joly, Yannick Jadot, Michèle Rivasi ou encore Marie-Pierre Vieu, ont envoyé un courrier au président Macron pour le sommer de « dire non au gazoduc pyrénéen ». « Coûts exorbitants et opaques, impact environnemental désastreux, contradiction manifeste avec les engagements pris à la COP21… les raisons d’abandonner une telle initiative ne manquent pas », estiment-ils.
À la suite de la divulgation du rapport Pöyry, la députée communiste de la circonscription Sud-Ouest (dont dépendent les P.-O. et l’Aude), Marie-Pierre Vieu, en a remis une couche : « Les seules hypothèses qui pourraient assurer un retour sur investissement à hauteur de l’engagement, seraient, selon le cabinet, une condition de facteurs très peu probable. Porté par le commissaire européen espagnol proche des lobbies des hydrocarbures Miguel Arias Cañete, ce projet est une absurdité économique qui ne vise qu’à soutenir l’industrie du gaz espagnole et française ».
L’Indépendant, le 26 avril 2018
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