L’incompétence de l’Union européenne à gérer la question des migrants ayant explosé à l’occasion du drame de l’Aquarius, les chefs d’État des 28 ont dû inscrire le sujet au menu du Conseil européen qui commence aujourd’hui. Vont-ils enfin faire face à leurs responsabilités ?
C’est aujourd’hui que le Conseil européen se penche sur la question migratoire. Le sujet s’est imposé au menu de cette réunion des 28 chefs d’État après que l’Italie a refusé d’accueillir l’Aquarius. Ce faisant, le gouvernement d’extrême droite a imposé un nouveau périple aux 629 migrants embarqués, les conduisant jusqu’en Espagne.
L’affaire a ému l’opinion publique. Une affaire d’autant plus gênante qu’elle a révélé l’incompétence de l’Europe à gérer cette question. L’option de l’UE a été de ne pas remettre en cause le processus de Dublin qui impose aux réfugiés de faire leur demande d’asile dans le premier pays européen où ils sont arrivés. Une règle qui fait peser l’essentiel du problème sur les épaules des Italiens et des Grecs.
7.000 morts en Méditerranée depuis 2016
Pour « soulager » ces derniers, la seule réponse qu’a trouvée l’UE a été de déléguer la surveillance des frontières à des pays tiers : demander à la Turquie puis à Libye de faire en sorte que les migrants ne puissent pas partir vers l’Europe. Cela a certes fait baisser le nombre de demandes d’asile en Europe : de 1,2 million en 2016 à 650 000 en 2017 selon le dernier rapport de l’OCDE. Mais à quel prix ?
7. 000 morts en Méditerranée depuis 2016. C’est ce prix qu’éclaire d’une lumière crue l’Aquarius. Face à l’émotion suscitée par l’errance de ce bateau de sauveteurs en mer, la réponse de l’UE a été indigne : pointer du doigt l’Italie. Option facile puisque l’extrême droite vient d’y arriver au pouvoir. Pourtant la stigmatisation du ministre de l’Intérieur italien est à géométrie variable. Après l’avoir traité de « lèpre », Emmanuel Macron a repris ses arguments. Matteo Salvini a été le premier à accuser l’ONG Lifeline -errant comme l’Aquarius avec 233 migrants à bord en début de semaine- de « complice de trafiquants d’êtres humains ». Emmanuel Macron vient de renchérir en lâchant en marge d’une conférence de presse suite à sa rencontre avec le pape que l’ONG faisait « le jeu des passeurs ». « Le seul ordre auquel le bateau a refusé d’obéir est celui de remettre ces personnes aux prétendus garde- côtes libyens car cela aurait été en contravention avec la Convention de Genève sur les réfugiés et donc criminel », a rétorqué l’ONG dans un communiqué.
Si sauver des personnes en train de se noyer « fait le jeu des passeurs », que propose l’Europe ? Va-t-elle enfin faire face à ses responsabilités ? L’ONG SOS Méditerranée attend de ce sommet que le sauvetage en mer soit pris en main. La Cimade appelle les chefs d'État « à dépasser leurs ambitions nationalistes et politiciennes et à se donner sérieusement les moyens d’aboutir à une réforme des politiques migra- toires européennes ». Elle a publié hier un rapport montrant que le nombre de migrants refusés aux frontières françaises a bondi depuis 2015 : de 15.849 à 85.408.
Angélique Schaller (La Marseillaise, le 28 juin 2018)
La directrice générale et co-fondatrice de SOS Méditerranée appelle les États européens à « prendre leurs responsabilités ».
La Marseillaise. Qu’attendez-vous de ce Conseil européen ?
Sophie Beau. Nous sommes plutôt soulagés qu’enfin la question migratoire revienne à l’agenda politique. Or les discussions ne doivent pas concerner uniquement les politiques à terre. Nous portons le même message depuis 28 mois d’opérations : il est urgent et indispensable que les États européens prennent leurs responsabilités et que ce Conseil aboutisse à un modèle de sauvetage viable en Méditerranée, qui permette de respecter le droit maritime international. Car la Méditerranée reste l’axe migratoire le plus mortel au monde. Cette urgence humanitaire est à prendre en compte avant toute considération politique. Les personnes secourues en mer sont avant tout des rescapés. Et le droit maritime impose de les débarquer dans le port sûr le plus proche, sans délai.
La Marseillaise. Qu’est-ce qu’un port sûr ?
Sophie Beau. Un port où les besoins et les droits fondamentaux doivent être respectés, où doivent être prodiguées assistance médicale et protection, où existe la possibilité de faire une demande d’asile. À cet égard, le chaos qui règne en Libye et les exactions qui y sont commises interdisent d’y renvoyer les personnes secourues.
La Marseillaise. Ne redoutez-vous pas que l’urgence humanitaire passe au second plan ?
Sophie Beau. En effet, et c’est pour cette raison que nous réaffirmons cet impératif humanitaire. Mais il n’a jamais été véritablement pris en considération. En témoigne l’absence d’une flotte de sauvetage européenne. Non seulement lorsque l’Italie, seule, a mené Mare Nostrum en 2013-2014, ses nombreux appels aux autres États sont restés sans réponse, mais l’Union européenne a torpillé l’opération.
La Marseillaise, le 28 juin 2018
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