Accueil des migrants : l'UE continue le massacre
Empêcher les arrivées : la solution des 28 pour régler la question des migrants. Et tout un laïus sur la Libye pour faire croire qu’ils agissent sur le fond.
Réunis, hier, en Conseil européen, les 28 chefs d’État sont tombés d’accord pour poursuivre leur politique d’Europe forteresse.
En se dotant de moyens très importants pour y arriver. Pour rappel : un budget colossal consacré à la protection des frontières d’un montant de 33 milliards d’euros cette année contre 13 milliards l’an dernier. Les effectifs de l’agence des gardes-frontières devraient, eux, passer de 1.300 à 10.000. Cette agence, surnommée Frontex, pourrait même devenir une « véritable police des frontières » selon la proposition de la Commission européenne. Des plateformes vont en outre être installées pour débarquer les migrants récupérés en mer dans des pays qui ne soient pas dans l’UE.
L’Europe s’entête donc dans une politique de rejet des migrants qui n’a donné aucun résultat. Et pour cause. L’histoire a montré qu’aucun mur, aucune mer, aucune frontière n’empêchait une personne décidée à fuir de le faire. Une Europe forteresse entérinée par tous, de la Hongrie ultra autoritaire de Viktor Orban à la France libérale de Macron.
Bien sûr, des nuances d’appréciation existent d’un pays à l’autre. Italie, Grèce et Espagne, premiers pays concernés, appellent à davantage de solidarité, Rome ayant d’ailleurs menacé hier soir de ne pas ratifier les conclusions. Hongrie, Autriche, Pologne, République Tchèque, Slovaquie refusent catégoriquement de revoir le règlement de Dublin. Lequel oblige les migrants à demander l’asile dans le pays où ils sont arrivés faisant peser tout l’effort sur la Grèce et l’Italie. Quant à l’Allemagne, elle est tiraillée entre une Chancelière qui a accueilli un grand nombre de migrants pour faire face au vieillissement de sa population et un ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, qui se dit prêt à fermer ses frontières. Emmanuel Macron, pour sa part, endosse le costume du monsieur Solidarité lançant des appels à l’unité européenne mais propose des « centres fermés » pour empêcher les migrants de circuler librement dans l’espace de Schengen.
La question de l’accueil des migrants écartée
A aucun moment la question de l’accueil des migrants n’a été mise sur la table. Sur le site internet du Conseil européen la réforme du règlement de Dublin a été un temps au menu. Tout comme l’organisation de « voies légales » afin de protéger les migrants des trafiquants. Mais les deux sujets ont subitement disparu hier matin de la page d’accueil du Conseil consacrée à la rencontre d’hier.
L’UE ne communique désormais que sur ses investissements dans les centres de migrants en Libye pour un accès aux soins, la formation des gardes-côtes, des programmes de retour volontaires dans les pays d’origine… Comme en 2016 l’accord avec la Turquie a été présenté comme le graal pour régler l’arrivée des migrants en Grèce, c’est aujourd’hui la Libye qui sert d’argument. Le Conseil européen affirme également que son travail de patrouillage en mer pour lutter contre les trafiquants a permis de sauver « plus de 375.000 vies ». Comment ? Pourquoi ? Pas de détail.
Des éléments que les dirigeants européens considèrent probablement comme susceptibles d’apaiser la partie de l’opinion publique émue par l’errance des bateaux de sauvetage en Méditerranée ces dernières semaines.
Le chantage de l’extrême droite
L’enjeu est également de montrer que l’Europe, face à un Trump volontiers méprisant, est capable d’agir et de s’organiser. La récente guerre commerciale lancée par les États-Unis a laissé des traces. L’autre grande crainte est qu’à l’approche des élections européennes, les électeurs ne partagent le constat d’une Europe qui ne les protégerait pas. Ainsi prétendant lutter contre l’extrême droite dans les pays où elle n’est pas au pouvoir, l’UE ne fait que confirmer ses thèses en refusant de prendre le problème à bras-le-corps. « L’Europe a beaucoup de défis mais celui lié à la question migratoire pourrait décider du destin de l’Union européenne », a prévenu la chancelière allemande Angela Merkel. Les discussions en cours ne laissent rien présager de bon…
Angélique Schaller (La Marseillaise, le 29 juin 2018)
Les organisations qui œuvrent en Méditerranée dénoncent les « méthodes » des gardes-côtes libyens et refusent de livrer les rescapés à un pays où ils sont victimes d’exactions.
C’est avec appréhension que Sophie Beau, co-fondatrice et directrice générale de SOS Méditerranée, voit poindre « une solution qui n’en est pas une » : il s’agit de la « question de la Libye ».
Elle évoque d’emblée les « errements des gardes-côtes libyens et leurs méthodes de sauvetage ». Ce qu’a encore pu constater l’équipage de l’Aquarius pas plus tard que dimanche dernier. Tandis que le navire revient de Valence, celui-ci est informé que sept embarcations sont en détresse. « Le centre de coordination de Rome nous fait alors savoir que les gardes-côtes libyens prennent en charge leur interception », raconte Frédéric Penard, directeur des opérations sur l’Aquarius. « A travers les communications radio, nous avons compris que les opérations ont eu lieu dans une grande confusion. Une fois de plus. Nous dénonçons depuis plusieurs mois déjà le transfert de responsabilités des Italiens vers les Libyens, qui ne favorise pas la mise en œuvre des sauvetages le plus rapidement possible, et dans les meilleures conditions. Depuis l’Aquarius, nous avons vu une vedette libyenne vraiment surchargée, dans des circonstances absolument dangereuses », déplore-t-il.
Une situation d’autant plus « incompréhensible » selon lui que le bateau de l’ONG espagnole Proactiva était sur zone. Mais que « les gardes-côtes libyens lui ont demandé de s’éloigner. Il y avait potentiellement un millier de personnes en détresse. Qu’on se permette de refuser l’assistance est complètement contraire au droit maritime. »
L’épisode, qui tend à se répéter, s’avère carrément ubuesque quand on sait que la Marine libyenne elle-même déclare qu’elle ne dispose pas des moyens requis.
« Criminel »
« Ce sont des vieux navires, même pas conçus pour le secours des migrants et leur capacité est très limitée », confie le colonel Abou Ajila Abdelbari, capitaine d’un de ces bateaux qui, selon lui, « tombent en panne régulièrement ». Ce qui le fait alerter sur un probable « effondrement total » des gardes-côtes libyens.
Au-delà de cet aspect technique, Sophie Beau souligne en outre « le chaos qui règne en Libye ». Avant d’ajouter : « Les exactions innombrables vécues par les migrants interdisent d’y renvoyer les personnes secourues. Je rappelle qu’à ce jour aucun centre de coordination des secours n’a pu ordonner à un bateau d’aller débarquer des rescapés en Libye. Ce n’est pas conforme au droit. »
Les autres ONG intervenant sur ce secteur ont la même position. En mars dernier, Proactiva a refusé de livrer des réfugiés à la Libye.
Et, en réponse à Emmanuel Macron qui, faisant sien le discours des extrémistes, a accusé le navire allemand Lifeline de « faire le jeu des passeurs », l’un de ses responsables a répliqué que « le seul ordre auquel le bateau a refusé d’obéir est celui de remettre (les naufragés) aux prétendus gardes-côtes libyens, car cela aurait été en contravention avec la Convention de Genève sur les réfugiés et donc criminel ».
« Entraver nos actions de sauvetage accroît le nombre de morts en Méditerranée », insiste Sophie Beau. Car, poursuit-elle, « les personnes en détresse prennent plus de risques encore pour échapper aux gardes-côtes libyens. On ne peut pas renvoyer ces personnes vers l’enfer libyen qu’elles viennent justement de fuir. C’est totalement à l’encontre du droit international, mais aussi des valeurs humanitaires et solidaires sur lesquelles l’Europe se fonde, nous l’espérons, encore aujourd’hui ».
Agnès Masseï (La Marseillaise, le 29 juin 2018)
L’Aquarius, le navire de sauvetage affrété par l’ONG SOS Méditerranée, est attendu ce matin à Marseille.
Il y demeurera quelques jours pour une escale technique.
L’Aquarius, qui doit faire ce type d’escale toutes les trois semaines pour se ravitailler et renouveler ses équipes, le fait d’habitude à Catane en Sicile. Mais l’association, fondée il y a deux ans dans la cité phocéenne et dédiée au secours des migrants en mer, considère que « le climat (n’est) pas du tout favorable aux ONG » en Italie, a déclaré son directeur des opérations Frédéric Penard.
L’ONG explique s’être ensuite adressée à Malte. Mais « Malte nous a refusé l’accès à ses eaux territoriales », a indiqué Frédéric Penard, sans que le pays justifie ce refus.
La Marseillaise, le 29 juin 2018
Les 233 migrants du navire humanitaire Lifeline ont finalement débarqué à Malte mercredi soir après un périple d’une semaine en Méditerranée.
Au total, huit pays européens accueilleront certains de ces migrants : Malte, Italie, France, Espagne, Portugal, Luxembourg, Belgique et Pays-Bas. Mais, a précisé le Premier ministre maltais Joseph Muscat, ils seront d’abord tous contrôlés et seuls « les véritables demandeurs d’asile » auront droit à une « protection », tandis que les « procédures seront immédiatement lancées pour rapatrier ceux qui n’y ont pas droit ». Le bateau devrait être mis sous séquestre à la suite d’une enquête ouverte à l’encontre de son capitaine. Selon Joseph Muscat il a « agi contre les lois internationales ».
La Marseillaise, le 29 juin 2018
33 milliards d’euros. Le budget consacré au renforcement de la protection des frontières dans son nouveau budget européen bouclé en mai. Contre 13 milliards précédemment.
237 millions d’euros. Le budget consacré par l’Union européenne à sa politique en faveur des migrants en Libye depuis 2017.
662.248. Le nombre de migrants en Libye recensé par l’Office international des migrations en mars 2018.
8.546. Migrants coincés en Libye ont bénéficié d’un programme de retour volontairement.
1.609. Réfugiés ne pouvant retourner dans leur pays d’origine ont bénéficié d’un mécanisme de transit d’urgence.
213. Gardes-côtes libyens ont été formés par des équipes européennes.
La Marseillaise, le 29 juin 2018
Originaire du Nigeria, Efe a une trentaine d’années. Sur l’Aquarius, elle a livré son témoignage à SOS Méditerranée.
En Libye, elle et son groupe ont été enfermés dans la prison appelée « Grey Garage ». Des conditions de détention abominables : « C’était sale et très bruyant. On entendait les gens crier de douleur. Il y avait des morts par terre… En tout cas, ils ne bougeaient plus… Une fois, il y avait un couple. Les gardes sont venus violer la femme devant tout le monde et ils ont installé son mari sur une chaise et il devait regarder. Ils lui mettaient une arme sur la tempe et le tapait avec la crosse s’il essayait de détourner la tête. »
La Marseillaise, le 29 juin 2018
En mai dernier, Médecins sans frontières (MSF) alertait « sur le sort d’environ 800 migrants et réfugiés enfermés dans un centre de détention dangereusement surpeuplé dans la ville portuaire de Zuwara, à environ cent kilomètres à l’Ouest de Tripoli. Certains hommes, femmes et enfants à l’intérieur étant retenus dans des conditions inhumaines depuis plus de cinq mois sans nourriture ni eau adéquates ». L’association relevait qu’« un grand nombre de réfugiés, de migrants et de demandeurs d’asile à Zuwara (avaient) déjà subi des niveaux alarmants de violence et d’exploitation pendant leur parcours puis en Libye ».
La Marseillaise, le 29 juin 2018
Dans une impasse, la question migratoire ? Certainement pas. Les propositions pour sortir par le haut existent.
1. Mettre en place une organisation commune
Tant que chaque pays jouera sa partition uniquement motivé par des considérations politiques internes, on ne réglera pas le problème. Il y a nécessité d’un règlement à l’échelle européenne. Aujourd’hui, le système est organisé par le règlement de Dublin. Signé en 2013, il délègue la responsabilité de la demande d’asile d’un réfugié au premier pays qui l’a accueilli. Cela ne marche pas. Italie et Grèce ont été acculés. Le constat d’échec a été fait par la Commission européenne et par le Parlement européen a pris fait et cause pour une refonte radicale.
En France, le sujet a investi à tous les étages de la réflexion publique. ONG, Conseil économique, social et environnemental, collectif d’intellectuels… Une « réforme en urgence » est inscrite au programme de Ian Brossat, chef de file des communistes aux élections européennes. Même tonalité du côté des Verts qui dans une tribune exigent un accord sur la répartition des réfugiés sur le continent.
Une fois cette organisation mise en place, l’UE toujours prompte à sanctionner les récalcitrants dès qu’il s’agit d’économie, devra faire de même avec les États qui refusent de jouer collectif.
2. Se doter d’un programme européen de sauvetage
Les opérations de sauvetage sont les solutions les plus efficaces pour sauver des vies. Mare nostrum en a fait la démonstration entre 2013 et 2014. Elle a été mise en place par la marine italienne au lendemain du drame du naufrage de Lampedusa. 150.000 personnes ont été sauvées de la noyade en un an. Cela avait un coût -9 millions d’euros par mois- que l’Italie a demandé de ne pas assumer seule. La seule réponse de l’Europe a été de remplacer Mare nostrum par un programme de surveillance des frontières. Résultats, on atteint aujourd’hui les 15.000 morts en Méditerranée depuis 2014.
3. Ouvrir des voies légales et sécurisées
Pour ne pas livrer les migrants aux seuls trafiquants, la solution est d’ouvrir des itinéraires sûrs. Cela passe par des visas humanitaires, moins contraignants que les visas traditionnels, pour les réfugiés, le regroupement familial ou la réinstallation. Cette dernière est une mission confiée par l’ONU au Haut Commissariat aux Réfugiés. Mais très peu de pays jouent le jeu. L’an dernier, « moins de 1% des réfugiés ont été réinstallés » a déploré le HCR. Depuis le début de la guerre en Syrie, seules 162.151 réinstallations ont été offertes aux plus de 4,3 millions de réfugiés. « Ménager des voies légales », était au menu du Conseil européen d’hier avant de disparaître de l’écran en dernière minute.
4. Stopper la surenchère verbale
Criminaliser les migrants empêche tout traitement raisonné de la question. Si c’était traditionnellement le fond de commerce de l’extrême-droite, le propos s’est singulièrement répandu. Ainsi le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb qui a utilisé à plusieurs reprises le terme de « submersion migratoire ». Les demandes d’asile publiées par Eurostat représente 0,1% de la population européenne. Quant à la France, elle a accepté 40.575 demandes. Le pays serait donc « submergé » par l’équivalent de 0,06% de la population.
5. Privilégier la voie politique plutôt que guerrière
Syrie, Irak, Afghanistan, Libye : la liste des interventions militaires internationales non maîtrisées de ces dernières années est longue. Et les pays d’origine des migrants y est étroitement liée. Le Mouvement de la Paix rappelle souvent que « les cadavres rejetés sur les côtes méditerranéennes sont la conséquence de ces conflits et de la guerre économique que les grandes puissances et les multinationales se mènent ».
6. Mettre des moyens dans le développement
Développer les pays d’origine pour éviter que des gens ne soient contraints de fuir la misère : l’idée n’est pas nouvelle. Mais nul ne s’est donné les moyens d’y parvenir. La lo- gique est toujours la même. Quand 33 milliards d’euros sont affectés à la protection des frontières, seuls 2,5 milliards sont injectés depuis 2015 pour financer 147 programmes destinés à « s’attaquer aux causes profondes de la migration en Afrique ». C’est l’inverse qu’il faut faire. Pire, cette aide est devenu un chantage, l’outil d’une gestion restrictive des flux migratoires.
7. Lutter contre les traiquants
Le business du trafic des migrants est plus que lucratif : plus 6 milliards d’euros dans la poche des mafias. Il faut démanteler ces réseaux. Certes, l’Europe affirme s’y atteler mais elle en fait un préalable, oubliant que c’est sa politique de fermeture des frontières qui a favorisé leur développement.
Angélique Schaller (La Marseillaise, le 29 juin 2018)
Athanasia Anagnostopoulou. Députée européenne grecque (Syriza). « Le problème n’est pas l’immigration, c’est la politique de l’Europe qui n’a pas élaboré une solution unifiée (…) Il faut des voies sous contrôle et sécurisées pour que les réfugiés passent. »
Eleonora Forenza. Députée européenne italienne (PRC)? « Sur le bateau Open-Arms avec d’autres députés, à l’heure du Conseil européen, nous redisons non à la politique de rejet et notre solidarité aux ONG qui sauvent des vies. »
Joao Pimenta Lopes. Député européen portugais (Parti communiste). « La pratique a montré que ce qui a été créé, c’est la constitution de camps de concentration authentiques, dans des conditions inhumaines. »
La Marseillaise, le 29 juin 2018
« L’émigration non voulue d’un grand nombre de personnes est devenue si importante qu’elle rend les problèmes religieux et raciaux plus aigus, accroît la tension internationale et risque d’entraver sérieusement le processus d’apaisement en cours dans les relations internationales ». Voilà ce que l’on peut lire dans le relevé des conclusions de la Conférence d’Evian qui s’est tenue du 6 au 13 juillet… 1938 traitant du sort des réfugiés juifs fuyant les persécutions de l’Allemagne et de l’Autriche nazies.
Cette réunion intergouvernementale est qualifié aujourd’hui de « conférence de la honte ». Car aucun des pays européens y participant n’a accepté d’ouvrir ses frontières au prétexte que ces arrivées -souligne encore le texte de la conférence- « perturbe l’économie générale (…) à une époque de sérieux chômage ».
Rétablir la vérité des faits
A 80 ans de distance, les mêmes arguments sont avancés par les chefs d’Etats européens pour justifier la fermeture des frontières de l’Europe aux damnés de la terre : ces enfants, femmes et hommes qui fuient guerres, persécutions et misère et tentent de sauver leur peau au péril de leur vie.
Si l’histoire ne se répète jamais, il est en revanche impératif d’en tirer toutes les leçons au risque d’hypothéquer l’avenir. Impératif aussi de rétablir la vérité des faits. Car nous ne faisons pas face à une crise migratoire, mais à une crise majeure de l’accueil. Or, des solutions sont à portée main à la seule condition qu’une volonté politique, autre que celle des xénophobes, prenne enfin le dessus.
Françoise Verna (La Marseillaise, le 29 juin 2018)
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