Est-on conscient de ce que révèle le refus européen d’accueillir les quelques dizaines de milliers de migrants qui fuient, dans un réflexe de survie, la guerre et la misère ? Les pitoyables comportements des extrêmes droites xénophobes et populistes qui ont produit le Brexit et règnent désormais en Italie et en Europe de l’Est ; l’hypocrisie macronienne qui prétend faire la leçon à tout le monde mais qui ne remplit pas les obligations à minima qu’elle a elle-même souscrit ; l’échec dramatique du mini-sommet européen, prévisible parce qu’il rassemble des dirigeants dont la volonté commune est de construire une Europe forteresse, profondément inégalitaire, arque boutée dans la défense de la finance et fermée au monde. Trump et Erdogan semblent devenir les modèles à suivre. Pendant ce temps 50.000 hommes, femmes, enfants ont péri noyés en Méditerranée depuis l’année 2000. Des dizaines de milliers de migrants sont livrés à l’esclavage en Lybie et d’autres ne doivent qu’à l’action des ONG et des citoyens conscients, les « justes » d’aujourd’hui, de survivre face au déferlement de la haine et à la répression d’États qui se prétendent riches et civilisés. Le constat est terrible mais il faut le dresser : l’Europe est paralysée !
Elle est paralysée par les politiques ultralibérales menées depuis des années, qui désespèrent les peuples de l’Union et les jettent dans les bras des nationalistes et des populistes sans espoir de voir leurs sorts améliorés, bien au contraire. L’Europe est paralysée parce que ce sont ces mêmes nationalistes qui donnent désormais le La et le Tempo : ils imposent leur vision du repli sur soi, leurs valeurs obscurantistes, leurs obsessions identitaires régressives, leur xénophobie. De même a-t-on pris la mesure de l’air du temps nauséabond dans lequel nous baignons en France ? Les Le Pen, Dupont Aignan, de Villiers, Wauquiez mais aussi Valls et Collomb, Zemmour et Finkelkraut… occupent l’espace public avec la complaisance des grands médias. Ils assènent comme une évidence que la pierre angulaire de notre société s’incarne désormais dans la défense d’une identité nationale totalement essentialisée autour d’une histoire blanche et chrétienne, mâle et hétérosexuelle.
Voilà maintenant que notre président de la République veut « réparer les liens » entre l’État et l’église, peut être pense-il, maintenant qu’il est chanoine de Latran, refaire de la France la « fille aînée de l’église ». On voit bien où on veut nous mener : l’histoire de notre pays ne serait pas le produit des luttes de classes parfois révolutionnaires, qui ont opposé les puissants et les privilégiés aux peuples des villes et des campagnes. Il ne sert donc à rien de se dresser aujourd’hui contre les « premiers de cordée » ; de même le peuple de France ne serait pas le résultat des nombreuses vagues migratoires successives qui ont apporté leurs bras, leurs savoir-faire, leurs cultures. Il serait issu d’une identité linéaire et uniforme qui nous transcenderait et qu’il faudrait défendre contre toutes les autres. L’ennemi ne serait plus celui qui vous exploite mais le dernier arrivé, venu, parait-il,vous voler le peu que vous avez.
L’obsession identitaire, la peur de l’autre conduisent à construire des murs et des frontières, à diviser les peuples et à les dresser les uns contre les autres. L’identitarisme, le nationalisme, le rejet de l’autre c’est la guerre ! Prenons garde, si l’histoire ne se répète pas elle bégaie disait Marx ; or on trouve dans la situation actuelle des relents d’avant 1914 mais aussi d’avant 39.
Ce n’est pas d’identité dont nous manquons mais d’égalité et de solidarité, de liberté et de citoyenneté, de fraternité et de mise en commun. Ce n’est pas de repli sur soi dont nous avons besoin mais d’une ouverture au monde, de la construction d’une mondialité de paix, de coopération pour le progrès social et environnemental, pour le respect, la reconnaissance et la relation entre toutes les cultures. En clair c’est une autre France et une autre Europe que nous voulons.
Alain Hayot (La Marseillaise, le 30 juin 2018)
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