Obligé de se présenter aux députés pour s’expliquer sur Benalla, le Premier ministre a déroulé les mêmes arguments de défense, minimisant l’afaire et criant à une instrumentalisation.
« C’est une faute individuelle, des petits arrangements avec des policiers de la préfecture de police de Paris. Mais ce qui devait être fait, a été fait ». Le Premier ministre était, hier, devant les députés pour s’expliquer suite à deux motions de censure. La première, portée par le LR Christian Jacob, était soutenue par 90 députés. La seconde, défendue par le communiste André Chassaigne, par 59 membres de l’Assemblée nationale des groupes Nouvelle Gauche, LFI et GDR.
Édouard Philippe a déroulé le fil de la défense imposée par Emmanuel Macron depuis qu’il a pris la parole sur le sujet : minimisation des faits et refus de reconnaître une quelconque « affaire ». « Cela pose la question de la séparation des pouvoirs entre une présidence aveuglée par le désir de puissance et un gouvernement qui a abdiqué ses responsabilités », a plaidé Christian Jacob pour « justifier cette motion ». « Une affaire qui révèle surtout les dérives de l’hyperprésidentialisation, qui souligne l’esprit clanique du pouvoir, contraire aux exigences républicaines », a renchéri André Chassaigne. « Si vous aviez sanctionné les faits reprochés, il n’y aurait pas eu d’affaire », a ajouté Valérie Rabault, présidente du groupe Nouvelle gauche, « mais il y a eu des passe-droits. Et dès lors, il y a bel et bien une affaire ». Des arguments qui ont obligé Édouard Philippe à ajouter un angle à la défense habituelle : « la démocratie n’est pas en danger », a-t-il assuré.
« Vous n’êtes pas là parce que vous l’avez voulu, mais parce que vous y êtes obligé », lui a rappelé le chef de file des insoumis Jean-Luc Mélenchon, revenant sur le long silence de l’exécutif. Mais Édouard Philippe, bravache, a tenté de retourner l’événement à son avantage. Il a taclé les socialistes avec l’affaire Cahuzac, la droite avec celles de Sarkozy et a transformé l’exercice en bilan élogieux de sa première année d’exercice du pouvoir. Et de conclure par un tonitruant : « nous ne ralentirons pas, nous ne lâcherons rien ».
Pour le soutenir, les députés LREM évidemment, au premier rang desquels Richard Ferrand qui a martelé fidèlement les mêmes arguments : « propagande », « ralentissement du travail », « volonté d’atteindre » Emmanuel Macron… Mais le Premier ministre a pu aussi compter sur le MoDEM, avec Marc Fesneau qui a dénoncé « un système médiatique et politique qui s’est enflammé ». Ou encore, sur le groupe UDI Agir, avec Franck Riester qui s'est dit convaincu que c’est « un procès politique ».
Appel au référendum pour la réforme constitutionnelle
Mais la gauche aussi a su jouer de la tribune politique offerte par l’exercice. Communistes et insoumis ont dénoncé de concert le projet de réforme constitutionnelle voulu par le gouvernement et qui devrait revenir sur les bureaux des députés à la rentrée. Et d’appeler, ensemble, Emmanuel Macron à faire valider son projet par le peuple par le biais d’un référendum.
Sans surprise, les motions ont été rejetées. Celle de Christian Jacob a été votée par 143 députés, ceux du groupe LR, les 17 Insoumis et 14 communistes, mais aussi 11 non inscrits. Celle d’André Chassaigne a été votée par 74 députés. Il en aurait fallu 289 pour faire tomber le gouvernement.
Angélique Schaller (La Marseillaise, le 1er août 2018)
L’enquête ouverte lundi concernant des violences commises le 1er mai au jardin des Plantes à Paris a été élargie à d’autres faits présumés, après la diffusion d’une nouvelle vidéo sur laquelle semblent apparaître Alexandre Benalla et Vincent Crase, a annoncé hier le parquet de Paris.
Dans cette nouvelle vidéo, dévoilée par France info et Mediapart, deux hommes ressemblant au collaborateur de l’Elysée et au salarié du parti présidentiel LREM apparaissent en train d’interpeller un individu tandis que des CRS sont autour d’eux. Le jardin des Plantes était situé sur le parcours du défilé du 1er mai.
Entendu hier matin par la commission d’enquête du Sénat, le délégué général de la République en marche, Christophe Castaner, a annoncé qu’une procédure de licenciement avait été engagée contre le salarié du parti Vincent Crase, filmé aux côtés d’Alexandre Benalla en train de maltraiter des manifestants le 1er mai. Lui aussi a été frappé d’une suspension de 15 jours, mais non accompagnée d’une retenue de salaire comme pourtant annoncé. Il a aussi affirmé être en train de « revoir l’organisation de la sécurité » du parti.
Anticor a décidé de saisir la HATVP sur « plusieurs cas de violation » de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Pour Anticor, l’affaire Benalla a révélé « l’existence de chargés de mission qui, bien qu’affectés au cabinet du président de la République, ne figuraient pas dans l’arrêté du 18 septembre 2017 » et donc échappaient à tout contrôle du respect de ces obligations.
La Marseillaise, le 1er août 2018
Président du groupe communiste, André Chassaigne a porté la motion de censure de gauche.
La Marseillaise. Êtes-vous satisfait par la réponse que vous a faite Édouard Philippe ?
André Chassaigne. Je ne m’attendais pas à autre chose. Il y a un déni de la réalité. Le Premier ministre refuse de voir que le Président de la République a couvert Benalla. Il occulte le fait que cela a été masqué et qu’il a fallu les révélations du Monde pour que cette affaire soit connue. Cela confirme la volonté de ce pouvoir d’être tout puissant, de ne pas être dérangé. Quitte à tordre la réalité pour faire croire à une petite affaire judiciaire.
La Marseillaise. Quand il vous accuse d’instrumentalisation, que répondez-vous ?
André Chassaigne. Que si l’instrumentalisation politique, cela veut dire montrer à quel point il y a du sens dans cette affaire, qu’elle est le révélateur des conséquences perverses d’une présidentialisation poussée à l’extrême, je dis oui ! Si cela nous permet de montrer à quel point il faut revenir sur cette constitution qui donne trop de pouvoirs au président de la République, oui ! Si c’est de l’instrumentalisation de dire que la réforme constitutionnelle en cours fait le contraire de ce qu’il faudrait faire, qu’elle renforce encore le pouvoir du président de la République, affaiblit le pouvoir du Parlement, met à bas, la séparation des pouvoirs… Encore oui !
La Marseillaise. Vos commentaires sur la motion de censure que vous êtes parvenu à construire à gauche ?
André Chassaigne. Depuis un an, ce n’est pas la première fois qu’on est en convergence. Nouvelle Gauche, France insoumise et Gauche démocrate et républicaine avons déjà déposé cinq recours au conseil constitutionnel, On le fait très souvent par des convergences d’intervention contre des projets de lois qui nous sont soumis. Quand il est nécessaire de converger pour s’attaquer frontalement au gouvernement, on le fait. Cette motion se place dans ce mouvement là. Pour ma part, je n’y accorde pas une autre dimension. Mais cela me réjouit et cela conforte ce que nous, les députés communistes, essayons de mettre en œuvre depuis le début du mandat : chaque fois qu’on peut faire converger les différents députés de gauche, on essaye d’en être le moteur et on tente de concrétiser. Pour nous, c’est important, mais il ne faut pas y voir une remise sur pieds d’une forme de cartel des gauches, d’union de la gauche… Ce n’est pas cela du tout. Pour le moment, on en est à des convergences partagées.
Entretien réalisé par Angélique Schaller (La Marseillaise, le 1er août 2018)
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