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L’Algérie écrit son histoire

L’Algérie, cratère du volcan colonial, foyer des mouvements d’indépendance et des luttes anti-impérialistes, vibre à nouveau de son impétueuse dignité. Le large mouvement de protestation contre un cinquième mandat de M. Bouteflika a réveillé une société fourmillante, bouillante, éduquée, désireuse de reprendre en main son destin. Les opérations d’enfumage pour l’étouffer ne prennent pas : ni les congés forcés des universités et encore moins l’ajournement des élections, synonyme de prolongation du mandat présidentiel, n’ont éteint une contestation qui irrigue l’ensemble du pays, au-delà des particularismes culturels.

Une société dont 45% de la population a moins de 25 ans ne peut évidemment se satisfaire ni d’un président momifié dans l’incapacité manifeste d’exercer son mandat, ni d’une gérontocratie qui grenouille et cherche, en treillis ou en civil, à s’affirmer comme alternative. La jeunesse populaire, qui s’assemble notamment chaque semaine dans des stades de football, véritables foyers de contestation, et celle des universités s’épaulent l’une l’autre. Mais c’est bien dans la profondeur de la société que le mouvement trouve sa force propulsive. Leurs ainés, qu’ils aient vécu la décennie noire, témoins et acteurs de la lutte de libération nationale, ont massivement rejoint le mouvement. La journée du vendredi 8 mars a été l’occasion de repousser les éléments réactionnaires en affirmant la place prépondérante des femmes. Les cortèges sont marqués par la discipline des participants, leur organisation, de remarquables actes de civisme comme le nettoyage des rues après chaque manifestation.

Cette mobilisation exemplaire prend appui sur les mouvements sociaux qui ont émaillé la dernière décennie. Innombrables, ils ont été passés sous silence en France alors qu’ils étaient chacun le signe avant-coureur d’une ébullition sociale et démocratique. Le caractère massif de cette révolte populaire a immédiatement permis de tenir à la marge les éléments violents et déstabilisateurs, et son caractère pacifique, attentivement entretenu, de conjurer le spectre de la violence policière. Nombreuses furent les scènes de fraternisation entre policiers et manifestants, transcendés par le fort sentiment que se jouait là le destin de tout un peuple.

D’aucuns observaient jusqu’ici l’Algérie avec fatalité, chacune des grandes puissances mondiales ayant intérêt, au nom d’une illusoire stabilité, à geler la situation d’un pays fort d’une des plus puissantes armées régionales et riche de colossales ressources pétrolières et gazières. Le patronat algérien et certains cercles du pouvoir ont exploité cette donne géopolitique pour maintenir un réseau de privilèges et entretenir la corruption. La plaie toujours vive de la décennie noire a également pu inhiber la société algérienne, toujours traversée par une propagande islamique dispensée à dose homéopathique.

C’est au fond par orgueil que le pouvoir algérien et avec lui le FLN ont péché. La victoire ô combien méritée et justifiée des mouvements de libération nationale n’a signifié, dans aucun pays, « une fin de l’histoire ». Partout, quand ils ont conservé le pouvoir, s’est posée la question de leur capacité à donner à leur société une nouvelle respiration démocratique, voire sociale. La libération, fut-elle nationale et arrachée avec vaillance contre l’infamie coloniale, est un processus continu qui interdit toute stagnation pour prétendre à l’émancipation. Sinon, les clans, la rente, l’arbitraire et les prébendes condamnent au final tout un peuple à la glaciation.

Paradoxalement, c’est grâce à la rente pétrolière et à quelques velléités progressistes que la société algérienne a connu, sous le règne de Bouteflika, quelques avancées significatives, loin cependant de répondre aux aspirations sociales et démocratiques de la jeunesse. La confiscation de la souveraineté populaire, le chômage et la pauvreté, la corruption ont créé une formidable demande de changement. Le pouvoir algérien est au pied du mur. Va-t-il  l’entendre et céder à ce que ce mouvement exprime de meilleur ? Il n’en a pas vraiment le choix, sauf au prix du déshonneur. Nous devons de toutes nos forces nous efforcer à contribuer à la réussite du processus engagé.

Patrick Le Hyaric (L’HD, le 21 mars 2019)

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L’Algérie écrit son histoire

le 21 March 2019

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