C’est par une démagogique pirouette que le Président espère sortir du grand débat initié sous la contrainte des gilets jaunes en proposant la suppression de l’Ecole nationale d’administration. Les cercles du pouvoir espèrent ainsi noyer les revendications sociales, démocratiques et la soif de participation citoyenne en jetant en pâture une institution certes largement dévoyée, mais censée garantir l’indépendance de la puissance publique, et pour laquelle les ministres communistes Maurice Thorez, son créateur, puis Anicet le Pors ont travaillé à élargir l’accession aux classes populaires. La haute fonction publique deviendrait ainsi le bouc émissaire facile pour camoufler les choix politiques droitiers qui provoquent tant de fractures sociales et territoriales.
Contrairement à l’idée instillée, le gouvernement ne cherche en aucun cas ni à régénérer la promesse républicaine, ni à mettre fin à l’entre soi qui préside trop souvent à la sélection des hauts cadres de la fonction publique, mais bel et bien à renforcer l’endogamie en ouvrant les postes clefs de l’administration publique à des profils formés dans le giron des grandes écoles privées, françaises ou internationales, ou priment le commerce et le management capitaliste.
En ligne de mire se trouve l’idée même du concours, conquête républicaine égalitaire qui garantit le mérite contre l’héritage. Sa suppression laisserait place à un système de cooptation renforcée par cercles d’affinités et de connivences. Le moyen concret d’y parvenir est de défaire le statut de la fonction publique pour laisser place à un système de recrutement contractuel qui permettrait à la fois de précariser les agents publics des catégories inférieures et de dénaturer les missions de service public.
Alors que nous allons célébrer les 230 ans de la Révolution française, il est utile de se rappeler quelques-unes de ses conquêtes fondamentales, notamment celle transcrite dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en son article 6 et qui indique que « Tous les Citoyens étant égaux (…) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Le statut de la fonction publique est un verrou tenace que les tenants de l’offensive néolibérale considèrent comme un frein à leur entreprise. C’est la raison pour laquelle les institutions européennes prônent l’instauration de services dit « d’intérêts généraux » (SIG), version rabougrie de services publics plongés dans le mauvais bain de la concurrence.
Le vote du 26 mai prochain aura une influence décisive sur l’avenir de nos services publics. L’intensification de la crise du capital et l’accession au pouvoir des euro-libéraux ou nationaux-libéraux peuvent pousser à des nouvelles attaques contre eux. En France, M. Macron s’y emploie avec zèle en promettant la saigné de 120.000 postes, ou en s’attaquant au statut et au régime de retraite des agents publics. L’offensive contre les services publics transparaît également dans le détricotage de la propriété publique, point d’appui essentiel pour une appropriation sociale des grands enjeux et une réponse durable aux besoins humains et environnementaux.
Il y a donc nécessité absolue d’engager un nouveau rapport de force en France comme dans le futur Parlement européen. C’est ce contenu de lutte et de combat que propose la liste conduite par Ian Brossat, en proposant notamment qu’au lieu de créer de la monnaie pour alimenter les banques privées sans contrôle, la Banque centrale européenne puisse doter un fonds européen finançant de nouveaux services publics dans les transports, le logement, la santé, l’éducation, la formation, l’agriculture et l’eau afin d’impulser un nouveau développement social et environnemental. Telle est l’une des utilités, et pas des moindres, d’utiliser ce bulletin de vote le 26 mai : se donner les moyens d’engager la défense et la promotion de services publics utiles et performants en France et au sein de l’Union européenne.
Patrick Le Hyaric (L’HD, le 25 avril 2019)
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