L’Ocean-Viking et l’Open-Arms, deux navires de sauvetage en mer, sont coincés en Méditerranée dans l'attente d'un port avec 503 rescapés à leurs bords. Jusqu’à quand l’Europe va-t-elle détourner son regard ?
Devant ces 503 visages, l’Europe reste de marbre. En Italie, Matteo Salvini, l’homme fort du gouvernement, vient encore d'asséner « l’interdiction absolue pour ces deux navires étrangers de pénétrer dans les eaux italiennes »(*). Malte, pour sa part, refuse l’accès à ses eaux à l’Ocean-Viking comme, depuis deux semaines, à l’Open-Arms et ses 147 passagers. Un spectacle obscène se joue. Des malheureux, sauvés des eaux et de l’horreur, demandent de l’aide et ne se voient proposer que l’abandon.
Comme l’a dit le Mouvement de la Paix dans un communiqué à l’issue de la commémoration par le président Macron du débarquement de Provence : « il est plus facile d'honorer les parents et grands-parents pour la plupart morts que de construire de nouveaux partenariats afin d'empêcher "les petits enfants" de ces combattants de la liberté de périr en Méditerranée en raison de politiques inhumaines. »
Un motif d’espoir est venu du gouvernement espagnol se disant prêt à accueillir une partie des 147 migrants de l’Open-Arms, à condition que soit conclu un accord de répartition entre pays européens. L’initiative a été suivie par la France, l’Allemagne, la Roumanie, le Portugal et le Luxembourg.
En première ligne des arrivées, Maltes et l'Italie dévoilent l’échec de l’Europe entière à mener une politique d’accueil digne. En 2013, l’Italie a été le seul pays européen à organiser une politique de sauvetage en Méditerranée centrale avec l’opération Mare-Nostrum qui a permis de sauver 100.000 vies. Son abandon a été du à la faible participation des autres pays européens à son coût élevé.
Le remplacement par les opérations Triton et Sophia, de l’agence européenne Frontex fait glisser les objectifs du sauvetage à la surveillance des frontières de l’Union européenne. Comble du cynisme : depuis mars 2019, Frontex n’a plus de navire, uniquement des moyens aériens. Une façon de ne pas avoir à secourir les embarcations en détresse. De plus, depuis juin 2018, l’Union Européenne fait mine de trouver des vertus aux gardes-côtes libyens, alors que toutes les organisations des droits de l’Homme dénoncent les atrocités qui ont lieu dans ce pays.
L’absence de solidarité en mer révèle celle à terre. Le gouvernement grec vient d’appeler la Commission européenne à « un partage plus juste du fardeau » face à la montée des arrivées sur les îles grecques cet été. De fait, l’Union Européenne n’a jamais su mettre en place la répartition des demandeurs d’asile entre pays européens promise en 2015. Elle n’a touché qu’un tiers d’entre eux. De quoi méditer l’absurdité de la procédure Dublin, qui a supprimé la liberté de circulation des arrivants pour les assigner dans les pays d’Europe les plus saturés.
L’éveil de la société civile
Face à l’insoutenable, c’est la société civile qui s’est élevée, avec les ONG de sauvetage, aujourd’hui harcelées et criminalisées : l’Aquarius, privé de pavillon par Gibraltar puis le Panama suite à des pressions italiennes. Pia Klemp et Carola Rackete, courageuses capitaines de navires affrétés par des ONG allemandes, poursuivies en justice par l’Italie. Qui n’est là encore pas seule en cause. Comment oublier, en France, les procès dont ont fait l’objet Cédric Herrou et les solidaires de Briançon, pour avoir secouru leur prochain ?
Une telle politique n’est plus tenable. « Si l’Europe ne peut pas protéger ceux qui sont en difficulté en Méditerranée, qui ont pris la mer à la recherche d’une vie meilleure, elle aura perdu son âme, en plus de son cœur », écrivait jeudi 8 août l’italien David Sassoli, le président du Parlement européen. L’Histoire nous regarde. Depuis le 1 janvier 2019, 843 personnes sont mortes en Méditerranée. 843 visages que nous ne verrons plus.
L’appel du maire de La Seyne pour l’accueil des migrants
Face à ces drames, Marc Vuillemot, maire PS de La Seyne-sur-Mer, lance un appel à la solidarité aux maires des ports méditerranéens français. « Comme vous, j'assiste impuissant aux trop longues attentes dans les eaux internationales des navires humanitaires », explique l’édile.
Marc Vuillemot leur demande de se « porter volontaires pour concevoir un dispositif partagé », afin de « soulager en partie les ports sud-européens des efforts qu'ils sont bien trop seuls à devoir accomplir ».
« Le littoral méditerranéen français s'étale sur 1.000 km en métropole et 700 en Corse. (...) Nos villes ne manquent ni de savoir-faire ni d'expérience. » ajoute t-il. Avant de leur proposer : « Si ma suggestion fait écho auprès de vous, concertons nous et tâchons d’avancer ».
Un pas vers une réponse digne à la crise européenne de l’accueil ?
(*) Le décret Salvini interdisant au bateau de l'ONG espagnole Proactiva Open-Arms d'entrée dans les eaux territoriales italienne a été suspendu par le tribunal administratif du Lazio. Le ministre de l’Intérieur italien en a sorti immédiatement un nouveau. Mais ses homologues de la Défense et des Transports, pour des raisons purement politiciennes ont refusé de le contresigner, le rendant invalide. Quant au chef du gouvernement italien, il s’y est vertement opposé critiquant sa « concentration obsessionnelle » sur les migrants, « réduite à la formule "ports fermés" ».
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