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Le billet de Jean-Michel Galano. Où sont les gens ?

« Apathie ». « Repli sur la sphère privée ». « Individualisme ». « Chacun pour soi ». « Réseaux sociaux, ou plutôt asociaux ». Le constat est connu, et il est toujours le même : sortis du travail pour ceux qui en ont un, les gens s’ignorent et se calfeutrent chacun chez soi, chacun pour soi. Dès le XVIII° siècle, le moraliste Chamfort prédisait qu’allaient se construire « d’immenses rassemblements d’hommes » dans lesquels les individus, accolés les uns aux autres dans des demeures mitoyennes, n’auraient entre eux que des relations indirectes médiatisées par les diverses administrations. À l’heure d’internet, du formatage idéologique, du prêt à porter et du prêt à penser, on est tenté de se dire que Chamfort a été bon prophète.

Tenté seulement. Ce monde tristement atomisé en cellules qui ne communiquent pas entre elles, ce monde monadique, s’il correspond à ce que souhaite le capitalisme néo-libéral, a infiniment de peine à entrer dans la réalité. Les solidarités existent, tout autant que les incivilités. Les voisins se connaissent mal : ils se connaissent pourtant un peu. Les églises, et les réseaux qui leur sont liés, rassemblent, que cela plaise ou non, un nombre considérable de fidèles, qui y voient souvent, au-delà du culte proprement dit, une possibilité de rencontre, de partage et de réflexion en commun. À l’école, sur le lieu de travail, des solidarités se font et se défont, mais au final c’est plutôt du lien qui se renforce.

Mais aussi, et peut-être surtout, il y a la réalité polymorphe du monde associatif, notamment sportif et culturel. Ce qui est frappant dans ce monde, c’est d’abord sa stabilité. Ce sont vraiment des institutions : peu de changements, sinon de surface, entre les Jeunesses Musicales de France des années cinquante et celles de maintenant. Les championnats régionaux et inter-régionaux de cross rassemblent autant de monde voire plus aujourd’hui qu’hier, et les changements apportés par l’informatisation sont des progrès dans l’efficacité administrative qui ne touchent pas à l’essentiel. Car l’essentiel, c’est le plaisir partagé d’une compétition où l’on ne gagne ni n’apprend rien, si ce n’est la connaissance de soi et de ses limites, le goût de l’effort et la camaraderie. Et c’est vrai que le sponsoring n’est pas inactif, qu’il ébrèche çà et là l’amateurisme, mais il est tout aussi vrai que ces masses de jeunes et de moins jeunes qui font du sport à distance du sport business se rendent acteurs et non spectateurs, s’impliquent, si peu que ce soit, dans une pratique qui est à l’entrecroisement du personnel et du social, où chacun apporte et apprend, pour l’enrichissement de tous.

Il y a plus. Un ancien proviseur, qui avait exercé dans des établissements « difficiles », me racontait son étonnement quand il avait accompagné ses deux petits-fils à un tournoi inter-scolaire de foot organisé par la ville de Toulouse. « Comment expliquez-vous cela ? Il y avait là plusieurs équipes qui venaient du Mirail, quartier très défavorisé. Des pré-ados dont beaucoup étaient certainement déjà en rupture scolaire. Maigres, mal nourris, cela se voyait. Et ces gosses, dont les enseignants n’arrivaient pas à tirer quoi que ce soit, obéissaient au doigt et à l’œil à l’entraîneur, au "coach". Tout juste si celui qui s’entendait dire "tu as mal joué, sors du terrain" maugréait un peu. L’entraîneur n’avait pas à demander le respect, il était respecté d’emblée. » De fait, le coach, l’instructeur, le moniteur, le chef d’orchestre, le metteur en scène, ont une autorité -et donc une responsabilité- qui en fait des repères irremplaçables dans une société en profonde crise de sens.

C’est dire que le mouvement associatif est porteur de valeurs fortes : camaraderie, continuité dans l’effort, souci du partage et du travail en commun, souci des autres y compris quand ils sont absents, modestie. On peut parler d’écoles de la citoyenneté.

Ce tissu social mouvant, riche et ramifié, c’est cela même que Hegel appelait « société civile », terme repris par Marx mais surtout utilisé par Gramsci, avant d’être détourné de son sens et galvaudé par le Macron du premier quinquennat.

Ey c’est dans cette société civile que sont les gens. Selon les estimations, chaque personne résidant sur le sol national, déduction faite des jeunes enfants et des retraités les plus âgés, est membre d’au moins une association sportive, culturelle ou de loisir. Dans certaines régions de tradition ouvrière, comme le Nord ou la Loire, ce chiffre est beaucoup plus élevé. De 7 à 77 ans et au-delà, on, court, on nage, on randonne, on va à la chorale, on collectionne, on fait des échanges non marchands, et c’est très bien ainsi.

Le mouvement associatif est actuellement confronté à des difficultés considérables, qui sont d’abord des difficultés de financement, avec la baisse des budgets de nombreuses collectivités locales qui pèse sur le recrutement des cadres et des personnels permanents. Le sponsoring, on l’a dit, est aux aguets et profite de la moindre occasion. Une raison de plus pour être attentif à la préservation et à l’enrichissement de ce tissu social irremplaçable.

Mais il faut pousser la réflexion plus loin : la bonne santé de ce tissu associatif témoigne aussi, sans qu’il soit question de minimiser en quoi que ce soit les questions de communication, que la vie est d’abord socialement et individuellement vécue dans le monde réel de l’effort physique ou intellectuel partagé avec les autres, et non pas vécue par substitution dans un univers virtuel fantasmé et de ce fait désocialisant. Ce n’est pas sur les réseaux sociaux ni dans le champ de la parole que les choses se décident. Où sont les gens ? Dans le coude à coude de la vie sociale.

Jean-Michel Galano

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le 06 February 2023

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