Avril 1974, la Grèce était sous le joug des colonels, l'Espagne sous celui de Franco et le Portugal sous la férule de Marcelo Caetano successeur de Salazar quand, dans la nuit du 25 avril a retentit Grândola, Vila Morena(*) sonnant la fin de 48 ans de dictature portugaise.
Depuis plusieurs années, le Mouvement des forces armées (MFA), alors principalement composé de jeunes officiers, exténués par les interminables guerres coloniales, travaille dans l’ombre pour renverser le régime. Au matin du 25 avril 1974, les fusils sortaient avec au bout du canon des œillets. Des millions de personnes venaient à leur rencontre. La révolution des œillets était en marche.
Le Portugal était une dictature, dirigée d’une main de fer. En 1933, António de Oliveira Salazar instaure l’Estado Novo (l’État nouveau), sa politique nationaliste, conservatrice, anticommuniste et antisociale était caractérisée par la répression, la censure, la propagande, le contrôle de l’opinion publique et l’austérité économique. Il met alors en place la Pide, police politique qui traque les opposants, les emprisonne ou les contraint à l’exil. Ce régime fasciste s’appuie sur les élites, le patronat, l’Église et l’armée, avec un mot d’ordre : « Deus, Pátria e Família » (« Dieu, Patrie et Famille »).
Salazar etait cajolé par les puissances occidentales, dont les États-Unis. Le Portugal fait alors son entrée l'ONU, c'est également un des membres fondateurs de l’Otan.
Dans les années 1960, les colonies africaines de Guinée-Bissau, d’Angola, du Cap-Vert et du Mozambique se révoltent. Le pouvoir impérialiste consacre 42 % de son budget à ses guerres coloniales, pendant que sa population subit de plein fouet la crise économique.
Une soif de liberté mais la peste brune rode
La révolution se prépare dans le but d'éradiquer les injustices et les inégalités sociales, construire un régime de liberté et de démocratie pour l’émancipation sociale et politique du peuple afin d'affirmer la souveraineté et l’indépendance nationale. Lors de la révolution d’Avril, le MFA voulait redonner le pouvoir aux civils à l’issue d’élections libres.
Cinquante ans plus tard, le Portugal commémore. Que reste-t-il d’Avril ? La Révolution des œillets fut un formidable moment démocratique mais aussi un puissant élan à l’origine de nombreuses conquêtes sociales : retraite universelle, congés payés, accès gratuit à la santé…
Pendant ce temps les nostalgiques de Salazar tentent de se hisser au sommet, l’extrême-droite ressurgit des poubelles de l’histoire avec le parti Chega qui a obtenu 18 % des voix et 50 députés lors des législatives du 10 mars. Comme si, là-bas aussi, avec le temps, on avait fini par croire qu’on n’avait jamais « essayé l’extrême-droite ». Formation politique alliée du RN français, Chega a mené campagne lors des précédentes élections avec pour slogan « Dieu, patrie, famille et travail ». Une référence directe à la devise de la dictature de Salazar qui n’est pas sans rappeler, en France, celle du régime de Vichy.
Au Portugal comme ailleurs en Europe, la lame de fond néolibérale a causé de profonds dégâts sur lesquels l’extrême-droite a pu reprendre racine. Pour la battre sur tout le continent, c’est un nouveau projet de progrès social, démocratique et écologique qu’il faut bâtir et mettre en œuvre. Le 9 juin, lors des élections européennes, les peuples pourront dires, on ne veut plus revoir les dictatures du passé, on veut construire une société pour l'être humain.
Dominique Gerbault
(*) Chant composé et interprété par José Afonso, il fut choisi par le Mouvement des Forces Armées (MFA) comme signal pour lancer la rébellion des militaires, déclenchant le début de la Révolution des œillets le 25 avril 1974. La chanson devient l'hymne de la Révolution.
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