Quoique le dépouillement des élections ne soit pas encore achevé, du fait de la complexité du système électoral (scrutin par « préférence » facilitant les transferts de voix), on peut dès à présent tirer certaines conclusions. Et notamment celle-ci : les deux partis de droite, l’un d’origine nationaliste, l’autre plutôt démocrate-chrétien, qui depuis la création de l’État alternaient au pouvoir, parfois avec comme béquille les élus du petit parti travailliste et plus récemment ceux des Verts, devront désormais compter avec une opposition réelle, celle du Sinn Fein. Plus encore : ils sont condamnés à s’unir pour éviter l’arrivée au pouvoir de ce parti, qui plonge ses racines loin dans l’histoire irlandaise, mais a su se livrer à un aggiornamento que beaucoup considéraient comme impossible, passant en peu d’année du statut de branche politique de l’IRA (armée républicaine irlandaise) à celui de parti politique au sens plein du terme, rajeuni, féminisé et démocratisé. Porteur de revendications fortes en matière de réunification, de réconciliation nationale mais aussi de droits sociaux, ce parti dirige déjà, avec Michelle O’Neill, les institutions d’Irlande du Nord. Il est désormais incontournable. « Nous avons altéré le jeu de l’alternance », a déclaré sa présidente Marie-Lou McDonald, elle-même réélue à Dublin qui ajoute : « Les forces conservatrices détenaient jusqu’à présent et le gouvernement et l’opposition .Désormais, elles ne détiennent plus que le gouvernement. » Le Sinn Fein, dont le score moyen de 20 % recouvre d’importantes disparités régionales (il dépasse parfois les 40 % dans les comtés limitrophes de l’Irlande du Nord, mais il est fort aussi dans les secteurs urbains et majoritaire chez les jeunes) devrait disposer d’un bon quart des sièges au Dail (nom irlandais de la chambre des députés). Une analyse détaillée des votes laisse apparaître l’importance des transferts de voix entre les deux partis de droite, historiquement ennemis mais unis dans leur crainte d’une véritable alternative. Détail piquant : le plus important de ces deux partis, le Fianna Fail nationaliste et populiste, est à l’origine une branche du Sinn Fein, et s’est différencié de l’autre parti de droite (le Fine Gael) par son refus de reconnaitre la division du pays. La question de la réunification du pays hante toujours la vie politique irlandaise, et les faiseurs de combinaisons politiciennes font mine de ne pas voir qu’il y a un éléphant dans la pièce.
Jean-Michel Galano
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