Le 22 janvier, une délégation d’élu·es français·es prend la route pour le nord et l’est de la Syrie, le Rojava, un territoire en guerre où la résistance kurde continue de lutter pour sa liberté et son avenir.
Ce voyage s’inscrit dans le cadre des commémorations du dixième anniversaire de la libération de Kobanê, symbole mondial de la victoire contre Daesh, mais aussi d’une résistance qui, aujourd’hui, semble plus que jamais isolée sur la scène internationale.
À notre arrivée à Qamichli, la réalité du terrain est frappante. Les checkpoints, l’extrême pauvreté et les traces indélébiles laissées par la guerre témoignent de l’ampleur des défis à relever. Mais c’est surtout la situation du camp d’Al-Hol, qui marque les esprits. Avec ses 39 000 personnes, dont 24 000 enfants, vivant dans des conditions de survie à peine dignes, ce camp est devenu une poudrière. L’influence persistante de l’idéologie djihadiste parmi certain·es détenu·es constitue une menace constante, et l’appel à une action internationale reste sans écho. Ce camp est l’exemple frappant de l’inaction mondiale face à une crise humanitaire qui dure depuis trop longtemps.
Le Rojava, sous la gestion de l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (AANES), incarne pourtant une expérience politique originale et progressiste, fondée sur l’égalité des genres, la démocratie directe et l’inclusivité. Lors de notre rencontre avec les combattant·es des YPJ et des YPG, leur rôle dans cette lutte devient évident. Elles et ils protègent bien plus qu’un territoire : Elles et ils défendent un modèle de société basé sur l’égalité, et notamment sur la place des femmes. En dépit de l’absence de soutien militaire occidental, les Forces démocratiques syriennes persistent à défendre leur projet politique, tout en œuvrant à la reconstruction de la Syrie, dont l’avenir reste incertain.
Raqqa, ville emblématique de la résistance, porte encore les cicatrices de la guerre. L’AANES y œuvre pour instaurer une gouvernance démocratique, capable de rassembler Kurdes, Arabes et Syriaques autour d’un projet commun. Cependant, la menace turque demeure omniprésente. Les frappes ciblées sur des infrastructures civiles et l’embargo imposé sur la région ralentissent considérablement tout effort de reconstruction. De plus, l’AANES plaide pour la création d’un tribunal pénal international afin de juger les ressortissant·es étranger·es impliqué·es dans les crimes de Daesh. Mais ces appels à l’aide restent trop souvent ignorés.
Kobanê, après 10 ans de résistance acharnée, reste un symbole. La ville, marquée par les pertes humaines et la violence des combats, incarne à la fois la souffrance et la force d’un peuple qui refuse de plier sous la pression. Mais ce 10e anniversaire, loin d’être une célébration triomphale, est un rappel cruel de l’isolement croissant du peuple kurde sur la scène internationale. La communauté internationale semble avoir tourné la page, alors même que les menaces se multiplient.
Lors de notre rencontre avec Mazloum Abdi, commandant des FDS, les défis géopolitiques sont apparus avec une grande clarté. L’intensification des attaques turques, qui visent non seulement des infrastructures mais aussi des populations civiles, s’ajoute à une influence grandissante de la Turquie sur la scène syrienne. Les négociations avec Damas, concernant l’intégration des FDS dans une armée syrienne unifiée, sont au point mort, principalement en raison de l’absence de garanties sur l’autonomie kurde et sur la place des femmes dans l’armée syrienne. Ces défis géopolitiques révèlent la fragilité de l’avenir du Rojava, qui lutte non seulement pour sa survie physique, mais aussi pour la préservation de son projet politique.
Ce voyage, la solidarité de la délégation française ne se limite pas à un geste symbolique, c’ est bien plus qu’un simple déplacement : c’est une mission de solidarité et de résistance. Ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu, ne laisse pas indifférent·e. La résistance kurde, dans sa lutte pour une société démocratique et égalitaire, mérite un soutien concret. Bien que fragile et menacé, cela représente une alternative aux régimes autoritaires et oppressifs de la région. Il est vital de soutenir ces résistances, de leur donner une voix et d’exiger une reconnaissance internationale des droits du peuple kurde.
L’Union européenne et la France doivent appuyer, sans ingérence, les aspirations de l’AANES à une Syrie unifiée, indépendante de la Turquie et décentralisée, garantissant l’autonomie des différentes régions, notamment du nord et est syrien. Son contrat social, fondé sur le vivre-ensemble, la participation démocratique de toutes les communautés (kurdes, arabes, syriaques) et l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines, constitue une opportunité pour bâtir un processus constituant bénéfique à toute la Syrie.
Lamya Kirouani
conseillère départementale du Val-de-Marne
Article publié dans CommunisteS, numéro 1029 du 12 février 2025.
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